Il y a bien longtemps, alors que j’étais jeune productrice exécutive on m’a offert un livre : Memo, de David O. Selznick.
Je ne saurais trop vous conseiller de le lire si un jour vous le trouvez sur votre chemin. On découvre dans ce petit bouquin devenu rare et qui compile les notes envoyées par Selzick à ses différents collaborateurs (secrétaire, réalisateurs, co-producteurs, acteurs…), ce qu’est un producteur. En tout cas, tel que je l’imaginais, ou le fantasmais.
En l’ouvrant, je me doutais bien que je ne produirai pas Autant en emporte le vent mais la passion obsessionnelle du producteur pour ses films, du moindre détail à la chose de plus grande importance, m’a semblé à l’époque assez fascinante et s’est avérée par la suite tout à fait juste selon moi.
Produire un film, c’est couver un objet que l’on a vu naître, dont on a parfois planté la graine, aidé à l’accouchement difficile, porté pendant des semaines, laissé aussi s’échapper pour mieux grandir. Un objet dont on a encouragé et rassuré les premiers pas, applaudi les honneurs, consolé les peines. Et qui restera, après nous, comme l’enfant d’une famille qu’on espère nombreuse, enfant préféré le temps de sa mise au monde avant qu’il ne prenne sa place dans notre cœur, la même que tous les autres, comme un parent dont l’amour serait illimité.
Bien entendu, il y a mille façons d’être producteur. D’abord parce que jusque très récemment, ce métier ne s’apprenait pas. Ensuite parce que tout le monde peut le devenir. Au fond, être producteur, c’est vouloir faire naître un projet. Peu importe que ce soit le sien ou celui des autres. Le producteur a soudain une terrible envie de le faire exister. Ce désir le rend fou ou heureux, selon les moments. Il faut aussi savoir accepter cela, ces montagnes russes qui ne ressemblent en rien à une vie toute tracée.
Si la qualité d’un producteur est de réussir, elle est aussi de durer. Il en faut des films pour avoir fait (presque) le tour de toutes les situations, pour se sentir utile, indispensable, pour connaître ses forces et ses faiblesses. Il faut aussi des années de vie et d’émotions pour savoir garder ce désir intact, ce goût de la perfection jamais atteinte, cette insatisfaction permanente qui pousse à faire le film suivant, forcément meilleur et peut-être le dernier. Il faut avoir faim pour produire. Certains ont faim d’amour, d’autres de reconnaissance, d’autres encore d’argent quand ils ne courent pas après un rêve de cinéma ou de collaboration artistique. Tous ont envie de laisser une trace, de contribuer à construire un édifice dont les briques seraient les films achevés. Quelle taille aura l’édifice ? On ne le sait pas en commençant à bâtir.
Parfois tout s’écroule. On réalise alors que ce rêve était une chimère, que les films s’effacent, se perdent au fil des évolutions technologiques, des changements de sociétés, des ruptures. On se retrouve les bras ballants avec toujours cette faim qui vous tenaille à vous en donner la nausée. Que faire de soi ? Le producteur s’arrête rarement, car sinon il tombe, tant il ne sait qu’avancer.
Un jour une réalisatrice m’a dit que j’étais une coureuse de fond. C’était un beau compliment, même si jamais je n’égalerai Kathrine Switzer et sa formidable foulée.