Plonger dans l’année 1979 avec ses tourne-disques oranges, ses voitures aux lignes claires, qui sentent le cuir et le tabac, ses papiers peints hallucinogènes, ses meubles en formica… Grâce à une équipe exceptionnelle, j’ai pu recréer nos chambres d’enfants et nos amitiés d’été à la campagne. Tels furent les paris de ce premier film dans lequel se glissent des enfants d’aujourd’hui.
Lors des premières lectures, j’ai raconté aux enfants mon histoire et la façon dont j’avais perçu le rejet, persuadée qu’ils avaient vécu des choses similaires, dans d’autres contextes. Leur réponse fut catégorique : non, cela ne leur était jamais arrivé. Cette réaction m’étonna puis je réfléchis. En réalité, mes souvenirs étaient gonflés d’expériences ultérieures et bien que je fus persuadée d’avoir pensé à mille choses en cet instant où on me refusait de faire partie d’un groupe, je me dis que sans aucun doute, c’était l’adulte en moi qui racontait l’histoire aujourd’hui et pas la petite fille. Travailler avec les enfants permet de se reconnecter à ce que nous étions. Les voir se placer et agir permet de se souvenir d’où nous venons et qui nous sommes vraiment. De comprendre aussi notre responsabilité d’adulte.
« Cela serait bien que tu fasses un court-métrage ».
2016. Après des années d’écriture sur deux projets de longs, il était temps de me déterminer : allais-je vers la réalisation ou non ? L’envie était là mais que raconter sans me trahir ? J’ai alors repensé à ce souvenir d’enfance. J’étais la seule à l’avoir vécu ainsi, je n’en avais jamais parlé. « Pas toi ». Ces deux mots ont changé mon « logiciel », ma façon de voir les autres. Longtemps, j’ai eu peur des groupes, des femmes, de ne pas être acceptée. Faire ce film a transformé mon souvenir. Plus qu’une transformation, c’est une transmutation en une expérience forte, heureuse, collective et joyeuse. Dès le casting, j’ai compris que les enfants me donnaient des ailes, le pouvoir de guérir cette blessure intime. Puis la rencontre avec Sylvie Paupardin et Véronique Hubert a été déterminante. Ces mères de substitution, subtiles comédiennes, ont compris mon intention de montrer sans dire. Suggérer. C’est aussi grâce à Yoan Cart, le chef opérateur, que ce souvenir s’est imprimé avec délicatesse, image après image, sur l’écran. Je savais qu’il ne suffisait pas de raconter. Un souvenir ne se raconte pas. Il faut le vivre. Et parfois, une chose infime devient la plus déterminante de votre vie. Ce fut le cas en 1979 et encore en 2017. Mais cette fois, c’est moi qui mettais en scène mon destin.